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Encore, un livre poignant de Hakan Günday

Encore Hakan Gunday Ed.Galaade, Paris, 2015.

(371 pages)

Encore-Hakan-Günday

Tout d’abord, le titre : DAHA (encore) qui présente un feuilletage de significations : Hakan Günday nous explique qu'il l'a choisi pour accentuer l'effet de répétition dans la vie de Gâza, son jeune héros qui prend part au trafic des migrants traversant la Turquie.


Tous les jours, il doit apporter de l'eau et de la nourriture aux clandestins entassés dans l’entrepôt. Très régulièrement, il doit accueillir de nouveaux arrivants. Encore est également le seul mot de turc que connaissent les clandestins qui réclament encore de l'eau, encore des sandwichs...

Toujours plus …

De migrants,

De noirceur

De violence

De désespoir

C’est un livre très sombre dont le sujet est d’une actualité brûlante.


Le récit est écrit à la première personne, comme s’il s’agissait d’un authentique livre de souvenirs (d'un récit autobiographique). Le narrateur qui dit « je » est un enfant de 9 ans, Gâza, dont le prénom signifie guerre sacrée en turc. Il est le fils d'un passeur de clandestins et vit seul avec son père car sa mère a disparu au moment de sa naissance.

Il ne porte pas un regard naïf sur ce trafic. Au contraire. L’auteur a fait de son narrateur un personnage précoce et surdoué, extra lucide, qui non seulement comprend tout, voit tout, mais qui progressivement contrôle tout. Il devient un apprenti sorcier du trafic et de la détention d’êtres humains, se prenant à son propre piège. Il va vivre lui-même un enfer dont il ne sortira plus.


On pourrait croire que ce roman a une valeur documentaire mais on perçoit vite qu'il est une sorte de parabole,(le destin de l’enfant annonce peut être celui de son pays ?) ou plutôt une fable. Une fable qui dit des vérités indirectement, à travers un récit aux rebondissements rocambolesques.

Dans ce trafic d’humains, on est par « delà le bien et le mal ». L’auteur ne se place pas du point de vue de la morale. Le trafic est une sorte de jeu. Mais la machine s’emballe et on en arrive à une folie dont on ne peut guérir. L’enfant se croit tout puissant et manipule les migrants comme il le ferait avec les personnages d’un jeu électronique. Il fait avec eux des expériences comme avec des rats de laboratoire. Grâce au trafic, il assouvit ses vices, ses besoins intellectuels et sexuels, son désir de puissance et à terme, ses besoins financiers.


Quand il a 15 ans, il découvre le secret lié à sa naissance mais juste après, son camion fait une chute dans un ravin et il passe 13 jours sous un amas de cadavres. A son tour de connaître un enfer.

Il est sauvé miraculeusement. Son intelligence supérieure lui permet de tromper le juge, d’échapper à la justice et on pense même à un certain moment du livre qu’il va s’en sortir, grâce à ses études brillantes. Mais rien ne pourra réparer les cassures dans son âme, pas même la fortune dont il hérite ni les soins reçus à l’hôpital psychiatrique.

L’enfant a tué le peu d’humanité qui était en lui. Il ne peut plus communiquer. Même s’il a pu poursuivre de bonnes études , il est rattrapé par son passé.

Au total, un livre politique très puissant et très sombre. Mi fiction, mi documentaire, il utilise le détour de la fable pour dénoncer :

- Le trafic d’être humains,

- Le cynisme des passeurs, la violence du milieu,

- La corruption qui gangrène le pays, y compris celle de la police qui, au lieu de le réprimer, profite de ce trafic.

- La violence dans le rapport homme femme, notamment celle de la jalousie qui conduit au féminicide.

- Il dénonce le pouvoir occulte d’une certaine confrérie…C’est ce qui explique que dans le procès de l’enfant, le greffier a plus de pouvoir que le juge…


Il faut saluer l’écriture de Hakan Günday qui nous tient en haleine et qui parvient souvent à nous délivrer d’une tension insupportable grâce à son humour, bien noir… et à son impertinence (je pense notamment à la satire de la psychiatrie lorsque le médecin s’arrange pour faire toucher à son malade un petit veau:un morceau d’anthologie!).


Le roman présente selon moi quelques faiblesses :

Le drame familial de la naissance s’apparente à un mauvais mélodrame. On ne croit pas à la 1ère version du père qui dit avoir sauvé son fils des mains de sa mère voulant le supprimer. Quand Gaza découvre le cadavre de sa mère au pied de l’arbre (et reconnaît le tissu de sa robe, le même que sur la photo !) c’est grâce à une ficelle un peu grosse…

De même, l’épisode du trésor, découvert dans la terre grâce à un message laissé dans une bouteille, passe mal…


On aurait pu épargner au lecteur ces stéréotypes qui sont à mes yeux autant de faiblesses dans la construction de l’intrigue. Par ailleurs, aller jusqu’au bout du roman demande un effort tant le parcours du héros est sombre, angoissant et désespérant mais le passage par l’Afghanistan, l’évocation de DAECH et de la destruction des Bouddhas, finissent de l’ancrer dans la réalité tragique de notre époque.



 

L'Institut Français de Turquie propose un débat avec l'auteur Hakan Günday le 10 octobre 2019.

Venez nous y retrouver.


Hakan-Gunday


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